(Le titre de cet article est sponsorisé par le cercle des Gens Qui Écrivent des Titres Sans Aucune Originalité).
Le soir du 28 octobre, alors que j’étais en train de faire ma vaisselle dans la cuisine commune de mon hall universitaire, mon voisin Américain (un personnage fort sympathique et fort protéiné qui semble ne se nourrir que de lait, d’œufs et de bacon) m’a demandé ce que j’allais faire pour Halloween (réponse : “Euh ben je sais pas trop sans doute quelque chose enfin sans doute pas rien hein.”). Lorsqu’il est ressorti de sa chambre, dix minutes plus tard, dans un fort élégant costume de Bert, le personnage de Sesame Street doté d’un impressionnant monosourcil, j’ai compris qu’il allait falloir que je me bouge pour passer un Halloween de 3A qui vaille la peine d’être raconté.
Je vous présente Bert de Sesame Street et son monosourcil.
Sauf que je n’ai pas eu à me bouger, puisque dès le lendemain matin, Morgane, comme si elle avait lu dans mes pensées, a annoncé sur Facebook qu’elle allait à une fête d’Halloween sur un bateau avec sa copine Maureen et que si on (et par “on” j’entends la communauté des étudiants en échange à City University) voulait venir aussi, on était les bienvenus.
Ni une ni deux, j’ai dit oui.
Sauf qu’il fallait être déguisé, sinon on pouvait pas rentrer sur le bateau (enfin ça, c’était ce qu’il y avait marqué dans l’event Facebook, mais on s’est rendu compte plus tard dans la soirée que ce qu’il y avait marqué dans l’event Facebook était un peu exagéré, en fait).
J’ai écumé en urgence le rayon Halloween de mon Sainsbury’s local, mais les gérants du magasin semblent avoir une conception saugrenue d’Halloween selon laquelle les enfants sont les seuls à vouloir se déguiser en sorcières ce jour là et à porter des chapeaux pointus, alors que merde quoi, c’est un plaisir qui ne devrait pas se cogner à la frontière de l’âge.
Alors je me suis réfugiée dans une autre boutique du quartier (qui répond au doux nom de Ze-be-dee), où j’ai déniché un chapeau de sorcière orange avec des toiles d’araignée dorées et des collants avec des toiles d’araignée dessus, l’assemblage des deux étant du plus bel effet.
Pour le 20ème Halloween consécutif, j’ai donc été déguisée en sorcière.
Le soir venu, j’ai enfilé mes collants toile d’araignée par-dessus des collants normaux (c’était des collants mousse complètement merdiques, du coup j’osais pas trop tirer dessus, du coup ça m’a bien pris un quart d’heure de les enfiler totalement), j’ai mis une robe noire et un collier-hibou en plumes (je sais, ça fait super peur), j’ai fait un nail art d’Halloween so blogueuse mode (du vernis orange avec du top-coat noir craquelé par-dessus, si vous voulez tout savoir), j’ai coiffé mon chapeau de sorcière et roulez jeunesse.
Je franchis donc le cap de la première photo de nail art publiée sur ce blog.
Sauf que comme ma tête était trop grosse pour mon chapeau de sorcière (ça me fait ça avec globalement tous les chapeaux, et ma tête, c’est comme une opération des seins qui aurait réussi, à première vue on voit pas qu’elle est si grosse que ça mais quand on y regarde de plus près, on prend pleine conscience de son diamètre), j’ai du élaborer un système fort alambiqué à base de deux pinces à cheveux perçant le tissu du chapeau pour le fixer à mes cheveux, et par extension, à ma tête (à ma grande surprise, ça a vachement bien fonctionné, et par moments on aurait juré que mon chapeau lévitait comme par magie en proche vicinalité de mon crâne).
C’est à dix pas de chez moi que j’ai fait le constat qui allait me suivre toute la soirée : l’Anglais a du mal avec le concept de chapeau de sorcière, plus particulièrement avec la règle qui veut que ce concept soit destiné à rester sur ta tête. C’est-à-dire que je n’étais pas sortie depuis plus de cinq minutes, que je me faisais déjà arrêter (voire, disons-le carrément, barrer la route, dans le plus pur style du dresseur Pokemon au bord du chemin qui veut absolument te provoquer en duel alors que soyons francs, il a peu de chances de vaincre ton Pikachu surentraîné niveau 150 avec ses deux Ratata et son Roocool fraîchement capturés, et tout le monde sait déjà que tu vas finir par le battre et conséquemment lui rafler son argent de poche mais je m’égare) par trois gamins qui avaient l’air un peu trop alcoolisés pour leur âge et pour l’heure, pas si tardive que ça (il devait être 20h20, quoi). L’un deux a dit : “Hey Darling, can I try on your hat?”. Je me suis lancée dans une explication confuse et clairement trop compliquée pour les circonstances, à base de “Non, parce qu’il est fixé à mes cheveux parce que tu vois déjà quand j’étais petite les chapeaux de ma mère m’allaient…”. Le jeune bourrin n’en a eu que faire et, alors que je m’éloignais, a tenté de l’arracher de ma tête, ne réussissant qu’à saisir une fine mèche de mes cheveux au passage.
Non mais c’est vrai quoi, le culot des gens qui osent porter des chapeaux de sorcière le soir d’Halloween, non franchement, ils méritent bien qu’on les embête un peu.
Dans le métro, j’étais loin d’être la seule à être déguisée, et c’était franchement sympa. J’étais plongée dans Grazia (les sorcières aussi ont besoin de leur dose hebdomadaire de presse féminine) quand j’ai vu une jupe en tulle avec deux ballerines au bout s’asseoir à côté de moi. Deux stations plus tard, la jupe en tulle a dit “Clémence?!”. En fait, la jupe c’était Morgane, qui s’était retrouvée assise dans le même métro que moi, dans le siège à côté du mien, par l’effet d’un algorithme mystérieux qui régit les déplacements des personnes en zone urbaine.
Ensuite on a retrouvé Maureen, qui avait eu la très brillante idée d’apporter des bonbons, et après quelques hésitations, on a fini par localiser la Tamise et le bateau sur lequel se déroulait la fête.
C’est là qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une légère inadéquation entre ce que promettait l’event Facebook et la réalité. Sur Facebook, la fête allait avoir lieu sur une péniche, y aurait du monde, des déguisements et de la folie, et il fallait répondre “attending” pour être sur la liste sinon on pourrait pas rentrer gratuitement.
En réalité, deux types (probablement les organisateurs de la fête) nous ont pratiquement suppliées d’entrer, on n’a pas vu l’ombre d’une liste, en revanche à l’intérieur il y avait bel et bien beaucoup de gens.
On a réussi à s’approcher du bar (j’ai commandé une pinte de Magner’s, du cidre irlandais si je ne me trompe pas), et finalement on est allées se poser à l’extérieur du bateau, sur le pont, et on a passé une soirée délicieuse à discuter, assises sur des tabourets en bois, à manger des bonbons et à boire du cidre. En plus, on avait une vue nocturne et vraiment belle sur les bords de la Tamise, Big Ben et le London Eye, et c’était vraiment chouette.
Sauf qu’à un moment donné, le syndrome dit de “l’Anglais qui ne comprend pas que ce chapeau de sorcière est vraiment destiné à rester sur ta tête” s’est à nouveau manifesté. C’est-à-dire que j’ai senti mon chapeau se soulever de ma tête subitement (et la présence de mon système élaboré de pinces à cheveux attachant la chose à mon cuir chevelu n’en a rendu l’expérience que plus déplaisante), je me suis retournée, et j’ai vu mon chapeau dans les mains d’un type assis derrière moi.
Alors, j’ai convoqué un de mes super-pouvoirs, qui se manifeste à intervalles irréguliers depuis quelques années (c’est un pouvoir un peu instable que je ne peux pas utiliser comme je veux, un peu comme Sookie avec *spoiler alert* ses pouvoirs de fée dans True Blood). Il s’agit d’un regard très particulier, aux vertus similaires à celles des Détraqueurs dans Harry Potter – un regard qui te vide de toute énergie vitale, annihile ta volonté, et surtout, fait irrémédiablement plier autrui sous le poids de ma volonté. J’ai fait ce regard, donc, j’ai tendu la main, et j’ai dit “Give it back”.
Et juste comme ça, le mec a arrêté de sourire, et il m’a tendu mon chapeau, l’air lobotomisé.
Un vrai Jedi mind trick, vous dis-je.
Sur le chemin du retour, j’ai trouvé le moyen de prendre mon métro dans le mauvais sens (C’EST PAS MOI C’EST LES TRANSPORTS) (sans déconner, j’avais le changement le plus mal indiqué du monde, je refuse d’endosser une quelconque responsabilité et encore plus d’assumer les conséquences de cet échec), et quand je me suis mise en quête du train qui allait dans le bon sens, un agent m’a informée d’un ton décontracté qu’il y en aurait un dans pas moins de vingt minutes. VINGT MINUTES. POUR UN SIMPLE MÉTRO. SUR UNE LIGNE OÙ IL Y A BEAUCOUP DE PASSAGES. LE SAMEDI PRÉCÉDANT HALLOWEEN.
On marchait sur la tête, c’était rien de le dire.
Alors, je suis allée sur le quai relire Grazia, me félicitant d’avoir laissé quelques articles de côté pendant la première partie de soirée. Ne désirant pas attendre en vain vingt minutes sur un quai de métro, vêtue de collants-toile d’araignée, j’ai tenté de me renseigner auprès des gens qui attendaient sur le même quai pour vérifier qu’ils avaient compris comme moi et que ce métro allait bien dans la bonne direction.
Eh bien, PERSONNE NE SAVAIT. Et au bout de deux tentatives infructueuses, je me suis un peu demandé ce qu’ils faisaient, là, tous, à attendre vingt minutes un métro dont ils ignoraient visiblement tout de la direction, à minuit trente qui plus est.
J’aurais pu m’énerver si la protagoniste de mon trajet du retour n’avait pas fait son apparition à ce moment-là.
Depuis quelques minutes, j’observais en coin cette fille à ma gauche, qui avait des paillettes et de l’eye-liner sur les paupières, et qui venait de retoucher son blush avant de remettre son poudrier et son pinceau dans un gros sac à dos (les gens qui se maquillent m’hypnotisent). Une touriste s’est approchée et lui a demandé dans un anglais approximatif si ce train allait bien dans telle direction, et comme Tessa (elle m’a dit son nom quelques minutes plus tard) ne savait pas (comme tout le monde sur ce quai à part moi, visiblement), je suis intervenue. C’est comme ça que Tessa a commencé à me parler.
Elle a dit qu’elle allait faire la fête, mais qu’elle n’allait pas fêter Halloween. Elle m’a demandé si moi je le fêtais, puis elle a vu mes collants, et elle a dit, “Oh, of course you are!”.
Puis, elle a dit que quitte à nous faire attendre aussi longtemps pour un métro, “ils” (la compagnie de métro, quoi, dont j’ignore le nom) feraient aussi bien de nous donner du thé et des gâteaux. Évidemment, j’ai trouvé que c’était une idée formidable, et elle a dit : “I want a pastry ! Croissant, please !”. Sauf qu’elle l’a dit un peu trop fort pour que les gens ne se rendent compte de rien.
Elle avait les lèvres à moitié colorées en rouge (je l’avais interrompue dans sa séance de maquillage, et elle ne pouvait pas finir de l’appliquer tout en parlant), et elle m’a dit que son crayon, qu’elle avait acheté il y a des années, n’était pas un crayon pour les lèvres mais bien pour les yeux, ce qui est absurde, parce que qui va se mettre du crayon rouge sous les yeux? J’étais assez d’accord pour dire que c’était étrange. On a essayé de trouver une décennie au cours de laquelle ç’aurait pu être la mode, et j’ai dit que c’était sûrement les années 90, puisque “everything happened in the nineties” (“Tout s’est produit dans les années 90.”).
Ensuite, elle s’est lancée dans une analyse détaillée de deux publicités affichées en face de nous, l’une pour un jeu d’ordinateur, l’autre pour des chaussures de marche. Sur les deux affiches, il y avait de la neige, ce qui l’a poussée à constater : “Both are very alike. What’s the difference between them?” (“Les deux se ressemblent beaucoup. Quelle est la différence entre les deux?”). Après une minute d’intense réflexion, elle a dit : “Ooooh, that one’s for a computer game, and that one’s for hiking boots!” (“Ooooh, celle-ci est une pub pour un jeu d’ordinateur, alors que celle-là est une pub pour des chaussures de marche!”). Quelque part, deux entreprises ont payé très cher des experts en communication visuelle pour que les gens puissent comprendre ça en quelques millisecondes, et ils seraient bien attrapés de savoir qu’il existe des gens comme Tessa pour se lancer dans une analyse graphique détaillée avant d’en arriver à cette conclusion.
Ensuite, elle a dit qu’elle adorerait avoir une paire de chaussures de marche comme ça, surtout avec des chaussettes bien chaudes comme sur la pub, et qu’ils avaient bien mis de la neige en arrière-plan, pas du gris, comme ça on se rendait bien compte que la marche était faisable, que ce ne serait pas trop difficile. Elle a aussi dit qu’elle pensait sans doute que la pub de gauche (celle pour le jeu vidéo) plairait plus à un homme, elle s’est demandé si c’était sexiste de dire ça, elle a ajouté que les femmes étaient plus dans l’instant, dans le ressenti, plus sensuelles, et plein de choses qu’une conseillère en langage corporel avisé comme Raphaëlle Ricci aurait elle-même pu dire.
Quand elle a appris que je venais de Paris, Tessa était ravie : elle y est allée trois fois, et elle a adoré la ville. En fait, elle a même déménagé à Paris dans sa tête pendant trois mois (je vous jure qu’elle l’a formulée comme ça, de cette façon si poétique et si adorable : “I moved to Paris in my head for three months, but it just never happened”) mais le projet n’a jamais abouti.
Vingt minutes plus tard, le métro est arrivée, et on est montées toutes les deux dedans. Elle m’a dit qu’elle avait bu deux verres de vin rouge et que ça la rendait pompette (je crois qu’on peut dire d’une façon assez juste qu’effectivement, elle semblait pompette). Je lui ai demandé ce qu’elle faisait (moi-même, sur le quai, je lui avais raconté un peu ma vie, que je suis étudiante en journalisme, en échange pour un an, tout ça tout ça), et elle m’a répondu qu’elle était actrice. Ça m’a coupé la chique : d’un côté, c’est une réponse surprenante (ou en tout cas, ce n’est pas la première chose qu’on pense entendre quand on demande à un inconnu du métro ce qu’il/elle fait dans la vie), et d’un autre côté, ça expliquait tellement de choses par rapport à sa personnalité que je me suis demandé comment j’avais pu ne pas y penser plus tôt.
Quand est arrivée sa station, elle m’a donné une accolade et elle m’a fait une bise (Tessa vient du Yorkshire, et elle a eu l’air surpris quand je lui ai dit que je trouvais les Londoniens sympathiques – j’ai compris pourquoi à ce moment là), puis, au moment de descendre du wagon, elle s’est arrêtée, m’a fait un signe, et s’est exclamée : “Nice to meet you babe, take care, bye!”. Pendant que je m’emmêlais les pinceaux en essayant de formuler une réponse aussi gentille que ce qu’elle venait de dire, un type a dit d’une façon un peu ironique : “Bye.” et j’aurais préféré qu’il s’abstienne. Tessa ne s’est pas démontée, et alors que le métro repartait vers d’autres horizons (genre, ma station), elle est apparue derrière la vitre pour me faire un dernier coucou.
D’habitude, je déteste parler aux inconnus dans le métro. En fait, je déteste parler aux inconnus en général, pour la simple et bonne raison que la vie n’est pas un film français contemporain et qu’au lieu de vous raconter une anecdote qui va changer le cours de votre vie et vous rendre un peu plus humain, les inconnues dans la rue disent souvent des conneries, au mieux inintéressantes, au pire, teintées de bouffée délirante. La dernière fois que j’ai répondu poliment à un inconnu ayant visiblement exprimé la volonté de s’exprimer, j’étais à la terrasse d’un Starbucks, et s’en est ensuivi un long monologue à propos de l’État qui lui avait volé son royaume, de sa mère qui s’était constituée son épouse pour sauver ses parts, et surtout (thème récurrent) des “mecs qui s’enc*lent derrière chez TF1” (c’est bien connu) (mon mec et les amis qui étaient avec moi ce soir s’en souviennent sans doute).
Malgré cet historique peu concluant en ce qui concerne mes conversations avec des inconnus dans la rue, je ne regrette pas du tout d’avoir parlé à Tessa dans le métro.
Oh, et en point bonus, j’ai croisé une citrouille sur le chemin entre la station de métro et mon hall universitaire !